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Avec la classe autonome, “la posture classique du professeur qui dicte la leçon n’existe plus”


Enseignante en CAP, Juline Anquetin-Rault a créé une pédagogie qu’elle expose dans un récent ouvrage. Un “apprentissage actif” incluant des ateliers et variant avec méthode les outils : quiz, réalité virtuelle, cartes mentales… et téléphones portables.


Comment redonner l’envie d’apprendre et la joie de comprendre ? Juline Anquetin-Rault est professeur d’histoire-géographie et créatrice d’une nouvelle pédagogie, « la classe autonome ». Ce travail lui a valu d’être lauréate en 2021 du Global Teacher Prize, décerné chaque année par la Fondation Varkey à « un enseignant extraordinaire ayant apporté une contribution exceptionnelle à la profession ». Dans son ouvrage, La Prof qui murmure à l’oreille des ados, paru en septembre, elle détaille les éléments clés de sa méthode, tout en mettant en lumière les dysfonctionnements du système éducatif actuel. Son livre, imprégné d’exemples concrets et personnels, est un plaidoyer pour une nouvelle façon d’enseigner, centré autour d’un apprentissage actif et empathique. Entretien avec cette enseignante enthousiaste, qui offre à ses élèves des crayons à papier estampillés de cette citation de maître Yoda dans Star Wars : « L’échec est le meilleur des maîtres. »


Comment est née cette envie de créer une nouvelle pédagogie ?

J’enseigne en CAP dans des classes qui sont extrêmement hétérogènes : je peux avoir un élève qui a redoublé trois fois, une autre qui a le bac ou vient d’arriver de l’étranger et parle très peu français, mais aussi un homme de 45 ans, ex-banquier reconverti en futur boulanger. J’ai tous ces profils dans la même classe. Ma démarche est partie de ce premier constat et de cette frustration : comment puis-je faire cours à tous ces profils à la fois ? Les tenir tous éveillés et intéressés pendant plus d’une heure ? Je voyais bien que beaucoup n’arrivaient plus à apprendre, n’avaient plus envie de lire, décrochaient très vite en cours. Je ne voulais plus perdre d’élèves en chemin. C’est pour l’élève démotivé, qui n’a plus confiance en lui, brisé par le système scolaire classique que j’ai créé cette méthode.

La classe autonome fonctionne en trois temps : leçon, quiz rapides, ateliers d’approfondissement.


Quels sont les éléments clés de votre méthode, « la classe autonome » ?

Cette pédagogie est entièrement fondée sur l’idée que l’on apprend mieux en faisant. Je l’ai construite en suivant les préceptes du neuroscientifique français Stanislas Dehaene, qui affirme que pour apprendre, il faut « être attentif, engagé, avoir un retour immédiat sur ses erreurs puis consolider ses connaissances ». La classe autonome fonctionne donc en trois temps : la leçon – 25 % de la durée du cours –, suivie d’une courte période consacrée à des quiz rapides, et enfin des ateliers d’approfondissement lors de la dernière partie. Plus de 50 % du temps, l’élève étudie donc de façon active. Il travaille en autonomie avec plusieurs outils à disposition pour consolider ses connaissances. La posture classique du professeur qui dicte la leçon n’existe plus.



Dans ces ateliers, vous utilisez toute une panoplie d’outils : films, réalité virtuelle parfois, découpage…

Il s’agit de donner à l’élève la liberté de comprendre tout seul. J’ai donc conçu une dizaine

d’ateliers types avec des outils très variés : cela va de la réalisation de cartes mentales classiques à des exercices de rédaction, des planches effaçables, des drapeaux à créer et à planter sur une carte… On utilise aussi bien la réalité virtuelle que la bonne vieille dissertation. L’idée est d’utiliser ce qui est efficace et de varier les formes d’apprentissage. L’élève n’a qu’une seule contrainte : réaliser tous les types de formules en trois séances. Il est libre d’organiser son temps et ses activités comme il le souhaite.

Vous avez aussi recours au téléphone portable en classe pour tester les connaissances.

Je viens d’avoir cette discussion avec une maman outrée que j’utilise le téléphone en cours ! Pourtant, le numérique est un outil qui vient servir la pédagogie de « la classe autonome ». Il permet un engagement actif et un retour immédiat d’information. Je me sers par exemple de l’application Kahoot! : en un seul clic, l’élève a la réponse et c’est hyper efficace pour son cerveau. Alors que si je pose la question en cours – en quelle année a abdiqué Napoléon, par exemple –, il n’y a que le premier de la classe qui va me répondre. Les autres ne vont même pas essayer. Quand la radio et la télé sont arrivées, on disait qu’elles abrutissaient les enfants, mais tout dépend de la façon dont ces outils-là sont utilisés…

C’est important de dire [à ceux qui ont été dévalorisés très tôt] : ne t’inquiète pas, l’échec, c’est ce qui va te former.


Vous commencez votre livre en parlant de l’échec, et notamment du vôtre… C’est aussi une notion centrale dans votre façon d’enseigner. Pourquoi souhaitez-vous mettre autant l’accent sur cet élément ?

L’échec est bien plus formateur que la réussite. Le livre du philosophe Charles Pépin Les Vertus de l’échec est d’ailleurs extraordinaire sur ce sujet. Il démontre très bien comment ceux qui ont chuté un jour ont pu ensuite aller très haut, plus tard. Il cite les exemples de plusieurs célébrités. Je trouve ce discours essentiel, surtout auprès de gamins brisés par l’école qui ont perdu toute confiance en eux. Pour ceux qui ont été dévalorisés très tôt, c’est encore plus important de leur dire : ne t’inquiète pas, l’échec, c’est ce qui va te former. Je pense que le défi en tant que professeur, en tout cas celui qui me passionne, est celui-là : les amener vers des chemins nouveaux. Cette quête est encore plus prégnante lorsqu’on enseigne auprès d’adolescents dont l’erreur et le tâtonnement font partie de la recherche d’autonomie.

Si j’avais le pouvoir de changer une seule chose dans le système actuel, je mettrais fin à cet enseignement descendant : le cours magistral dicté par le professeur. Il est grand temps de repenser ce modèle-là. Nous avons aujourd’hui suffisamment de données neuroscientifiques sur le fonctionnement du cerveau des adolescents [l’autrice y consacre un chapitre entier dans son livre, ndlr] pour comprendre que ce système n’est pas efficace pour apprendre et motiver tous les élèves. Je suis aussi convaincue que si, à l’instar de certains pays nordiques, nous apprenions l’empathie et tous les arts au même titre que les mathématiques et le français, nous pourrions poser les bases d’une autre société. Les élèves auraient très tôt non seulement le sentiment d’appartenir à une communauté, mais aussi celui de pouvoir y trouver leur place.


La Prof qui murmure à l’oreille des ados. La méthode qui les réconcilie avec l’école (et avec les parents !), de Julie Anquetin-Rault, éd. Larousse, 224 p., 18,95 €.

Les Vertus de l’échec, de Charles Pépin, éd. Pocket, 192 p., 7,70 €

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